Symbole d’un âge d’or à priori révolu, l’un des plus grands noms de la moto traverse une période de turbulences sans précédent. Face à l’essor fulgurant des marques chinoises et à l’évolution rapide des attentes des motards européens, la firme peine à se réinventer. En perte de vitesse sur ses terres comme à l’international, elle assiste impuissante à la montée d’une nouvelle génération plus technologique, plus accessible… et plus redoutable.
Harley-Davidson, emblème du rêve américain et de la liberté sur deux roues, traverse actuellement l’une des périodes les plus critiques de son histoire. En France comme en Europe, la marque de Milwaukee ploie sous la pression d’une concurrence mondiale accrue, et notamment de la montée en puissance des constructeurs chinois.
Harley-Davidson en perte de vitesse
Si les chiffres de 2024 peuvent sembler encourageants à première vue, avec 4 751 immatriculations de motos neuves en France (+12,3 % par rapport à 2023), la réalité est bien moins flatteuse : Harley n’est que la huitième marque sur le marché français, loin derrière Honda (38 988 immatriculations) et Yamaha (31 208). Parmi les modèles Harley les plus vendus en France : la Street Glide (606 unités), la Low Rider (471) et la Sport Glide (450). Mais ces chiffres masquent une vérité plus sombre : l’image de la marque s’effrite face à des constructeurs plus innovantes et plus accessibles.
La situation mondiale est tout aussi préoccupante. En 2024, Harley-Davidson a livré 148 862 motos à l’échelle internationale, soit une chute de 17 % par rapport à 2023. Le chiffre d’affaires a reculé de 11 %, à 5,19 milliards de dollars, tandis que le bénéfice net a plongé de 36 %, à 455,4 millions de dollars. Le premier trimestre 2025 confirme cette tendance à la baisse : -23 % de chiffre d’affaires, -21 % de ventes mondiales, et une part de marché européenne qui fond de 5 % à 2 %.
L’échec de la diversification est également symbolisé par la contre-performance de LiveWire, la filiale électrique de Harley-Davidson, qui n’a vendu que 33 motos dans le monde au premier trimestre 2025, contre 117 sur la même période l’année précédente.
Et pendant ce temps, la Chine accélère
Dans le même temps, les constructeurs chinois gagnent du terrain. Le cas de Voge, marque premium du géant chinois Loncin, est éloquent. Loncin, fournisseur de moteurs pour BMW depuis deux décennies, a lancé sa propre marque avec succès. La Voge 900 DSX, très inspirée de la BMW F900GS, offre un meilleur équipement et un excellent rapport qualité-prix. Affichée à près de 10 000 €, elle est devenue la troisième moto la plus vendue en Espagne, surpassant de nombreux scooters.
En France, Voge progresse rapidement, ciblant une clientèle jeune et technophile. CF Moto, autre acteur majeur, est déjà la première marque chinoise en volume dans l’Hexagone, allant jusqu’à surpasser Suzuki sur certains segments. Avec plus de 250 concessions, CF Moto propose une gamme très large : trails (700 MT, 800 MT, 700 CL-X Adventure), roadsters (CL-X, 800NK), sportives (300 SR, 450SR), et motos urbaines comme les Papio 125cc et Papio Nova électrique.
Zontes aussi n’est pas en reste, avec plus de 3 000 immatriculations en 2023 (+33 %) et un passage de la 15e à la 13e place sur le marché français. Son succès repose sur une offre 125cc et A2 très compétitive (350D, 350E, Hyper Trail), conjuguée à des équipements haut de gamme et des tarifs attractifs. Enfin, Moto Morini, passée sous pavillon chinois, a quant à elle vu ses ventes progresser de 300 % en janvier 2025.
En fait, les marques chinoises ont su tirer parti de prix 20 à 40 % inférieurs à ceux des constructeurs traditionnels pour des motos équivalentes, tout en intégrant des équipements haut de gamme de série (quickshifter, écrans TFT, radars, freins Brembo). Elles montent en gamme à grande vitesse et déploient une offre électrique ambitieuse, soutenue par une stratégie marketing agressive (MotoGP, salons, événements) et des garanties longues (jusqu'à 3 ans pour Zontes).
Pendant ce temps, Harley-Davidson semble engluée dans une crise d’identité. Les nouveautés 2024, telles que les Street Glide et Road Glide équipées du moteur Milwaukee-Eight 117 et d’un nouveau système d’infodivertissement, n’ont pas suffi à inverser la courbe déclinante. Sa clientèle historique vieillit, et les jeunes motards préfèrent des marques plus modernes, accessibles et polyvalentes.
Crise identitaire et culturelle pour Harley
Le fiasco de LiveWire, avec 33 motos vendues au premier trimestre 2025, incarne l’échec de la transition vers l’électrique. La marque doit aujourd’hui choisir entre se recentrer sur son public fidèle ou se réinventer pour séduire une nouvelle génération.
Harley-Davidson a longtemps capitalisé sur son image de légende américaine, symbolisant la route, l’aventure et la culture biker. Mais ce positionnement, jadis un atout, freine aujourd’hui son renouveau. Tandis que les marques chinoises s’adaptent aux attentes contemporaines en proposant trails, scooters et roadsters modernes, Harley reste cantonnée aux grosses cylindrées custom, un segment en perte de vitesse en Europe et en Asie. Et alors que les marques chinoises lancent fréquemment de nouveaux modèles, les tentatives de diversification américaine comme la Pan America ou la Sportster S, sont arrivées trop tard.
Autre frein majeur : les tarifs. Les motos Harley-Davidson, au positionnement premium, sont inaccessibles pour beaucoup, surtout dans un contexte européen marqué par l’inflation, le contexte géopolitique et la hausse des taux d’intérêt. En face, les constructeurs chinois proposent des prix serrés. Pour ne rien arranger, Harley a également souffert de barrières douanières en Europe, avec jusqu'à 56 % de taxes sur certains modèles importés, diminuant encore leur compétitivité.
L'Asie en ligne de mire ?
En avril dernier, la marque américaine publiait un communiqué : Jochen Zeitz, PDG d'Harley, annonce son départ après cinq années de transformation. Une partie des actionnaires reproche à Zeitz un manque de résultats et un manque d'ambition sur les marchés asiatiques. Pourtant, en Inde, Harley-Davidson a enregistré une croissance de 135 % en 2024, grâce à un modèle de 440 cm3 conçu avec Hero et une production locale. L’avenir de la marque américaine passe-t-il par les petites cylindrées et les marchés émergents ? En tout cas, l’histoire de Harley-Davidson rappelle celle de nombreux géants industriels : après des années de domination, la marque semble dépassée par des rivaux plus agiles, plus innovants et plus proches du marché. La question n’est plus de savoir si Harley-Davidson retrouvera sa splendeur d’antan, mais si elle saura s’adapter ou sera reléguée au rang de légende déchue.